Lettre ouverte à feu Luc Chatel

Article écrit le 9 janvier 2011 par Thierry BRAYER

M. le Ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel.

La langue française appartient aux français : nous en sommes riches. Elle évolue naturellement sans demander quoi que ce soit à personne depuis quelques siècles, d’ailleurs aucune loi ne la régit, seules certaines l’encadrent. De ce fait, elle s’adapte aux Français comme les Français s’adaptent à elle !

Quand M. François Loncle, député de l’Eure, reproche à M. Nicolas Sarkozy de martyriser notre langue, l’indignation pour ma part vient (Indignez-vous ! dit Stéphane Hessel) de votre réponse, M. Luc Chatel, ministre en charge de l’Éducation dite nationale, qui nous assure qu’il faut s’adapter à son public en utilisant son langage, voire patois. En clair, d’après vous, M. Nicolas Sarkozy s’adapte au peuple : de là à penser que le peuple ne pourrait comprendre une langue française châtiée et correcte parce qu’il manque d’intelligence, il n’y qu’un pas. Cela s’appelle le nivellement par le bas : cette réponse est assez incroyable. Bientôt, vous allez nous dire qu’il faut « smsiser » – c’est à dire « phonétiser » – l’orthographe, pour que les jeunes nous comprennent, ne pas utiliser de mots compliqués autres que ceux que l’on trouve sur les skyblogs, et de continuer à faire fautes sur fautes sans rien contester (comme dans le titre du film « le fils à Jo » qui prend « à » pour l’appartenance au lien de « de ») parce que le peuple comprendra mieux !

M. Luc Chatel, je pense qu’il aurait été plus honnête de votre part de dire qu’il existe un langage écrit assez libre, fantaisiste, et surtout spontané, et un langage parlé plus précis et réglé, et que M. Nicolas Sarkozy, humain Français, fait des écarts plus par erreur que par envie de s’adapter au peuple, ce qui est profondément péjoratif et insultant à son égard en plus. Quant à M. François Loncle, j’aurais aimé qu’il félicitât le dit président pour son récent imparfait du subjonctif au sujet du départ de son ministre de l’Écologie. Ce qui est bien la preuve que l’erreur est humaine, mais les excuses à ces erreurs sont d’une autre planète …

J’ai la certitude qu’il faut parler comme l’on sait parler (et écrire) et non pas comme l’on doit parler en fonction du contexte. Lorsqu’on a le pouvoir du référant, c’est à dire celui d’être écouter comme un « maitre », on se doit d’apporter autant que possible son savoir sans prétention mais avec efficacité sans utiliser pour autant un « style amphigourique » mais simplement correct. Nous avons le droit à l’erreur, pourvu que l’on nous apprenne à la corriger illico.

En même temps, M. Luc Chatel, si vous pensez vraiment que le « peuple s’analphabètise » quelque peu, pourquoi ne pas plutôt tenter de le faire progresser au lieu de s’abaisser à lui comme vous pensez que M. Nicolas Sarkozy fait ? Qu’en dites-vous ? Vous reconnaissez sa faiblesse, mais ne faites rien contre ? Rappelez-moi votre métier déjà ?

M. Luc Chatel, vous avez validé par votre réponse le fait que l’on peut se ficher des règles de notre langue, pourvu que le message passe. Je souhaite courage aux professeurs pour expliquer le contraire à leurs élèves lors des prochaines épreuves de français.

Respectueusement

Thierry Brayer


Rappel : source AFP – 5 janvier 2011
Chatel défend le style de langage de Sarkozy dénoncé par un député PS
PARIS — Le ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel, a défendu mercredi le style oral de Nicolas Sarkozy qui, selon lui, « parle clair et vrai » en réponse à un député PS dénonçant les « fautes de langage » du chef de l’Etat qui « s’apparente au populisme ».
Nicolas Sarkozy « maltraite » la langue française, allant parfois jusqu’à employer des « formulations vulgaires », a estimé le député PS François Loncle dans une question écrite à M. Chatel publiée au Journal officiel en février 2010.
M. Loncle demandait au ministre de « prendre toutes les dispositions nécessaires pour permettre au président de la République de s’exprimer au niveau de dignité et de correction qu’exige sa fonction ».
« Le président de la République parle clair et vrai, refusant un style amphigourique et les circonvolutions syntaxiques qui perdent l’auditeur et le citoyen », a répondu début décembre M. Chatel à M. Loncle, dans une lettre révélée lundi par Mediapart.
« Ses paroles relèvent de la spontanéité et, au contraire d’un calcul, sont le signe d’une grande sincérité », écrit le ministre, qui salue « de grandes qualités rhétoriques, telle que la force expressive, la conviction, l’à-propos, la repartie ou la puissance d’évocation ».
Réponse « aimable, intelligente et travaillée », estime M. Loncle. Mais « cela ne tient pas la route » selon le député, car « dans cette attitude qui consiste à malmener la langue française, la grammaire, la syntaxe, les accords, etc., il y a un manque de culture et d’éducation qui le caractérise et aussi une stratégie qui s’apparente au populisme ».
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